N’y a-t-il pas des moments où nous n’arrivons pas à traverser l’épreuve ?

Publié par frigioman

Quand j’étais chez les dominicains et que j’accompagnais à la liturgie, j’ai vu une personne qui avait une sclérose en plaques. Elle me dit quelle détestait sa mère dont elle avait dû s’occuper toute sa vie et qui l’avait empêchée d’épouser l’homme qu’elle aimait. Sa mère était maintenant décédée mais cette personne continuait à être de plus en plus malade. Je lui ai suggéré de pardonner à sa mère. Là, elle me dit : « Ça, certainement pas, ma haine c'est ce qui me fait exister et sans cette haine je ne serais plus là. » Je me suis alors excusé en lui disant qu’effectivement j’étais peu conscient de ce que je lui demandais, que ce qu’elle avait vécu était sûrement impardonnable. Donc oui, parfois, il est très difficile d’accepter la métamorphose. Et puis en cheminant encore un peu avec elle, je lui ai dit : « Si vous ne pouvez pas pardonner, est-ce que peut-être vous pouvez croire qu’il y a en vous plus grand que vous qui peut pardonner ? Vous êtes chrétienne, est-ce que vous pouvez croire que le Christ lui pardonne ? » J’ai vu en elle le combat que mes paroles ont généré. Est apparue, au point de vue énergétique et psychologique, une densité qui semblait faire son travail de l’intérieur. Pendant un temps, elle est restée avec ça. Et puis les larmes ont commencé à couler, à couler. Elle s’est levée de son siège - dans lequel elle avait été immobilisée depuis une dizaine d’années, et elle s’est mise à marcher. C’est le miracle du pardon. Mais ce miracle n’a pu se faire que parce ; qu’elle a accepté qu’elle ne pouvait pas pardonner. Ce n’est pas le moi qui pardonne, c’est le Soi - notre partie, divine en quelque sorte. Le moi ne traverse pas la crise, c’est le Soi qui apparaît. Et là, le moi peut lâcher. Et les choses les plus ordinaires peuvent être un lieu d’épiphanie. Les plus petites choses sont souvent le support de cette transformation. Sinon, le risque est d’idolâtrer ces états non ordinaires de conscience. Alors qu’il s’agit de rechercher ni l’ordinaire, ni l’extraordinaire, mais de rechercher cette présence de l’être. Saint Augustin disait : « Vous vous étonnez parce que le Christ change l’eau en vin, mais la vigne fait cela tous les ans. » Nous avons souvent besoin de choses extraordinaires pour nous éveiller à cette conscience. Mais chaque instant a est le moment favorable pour s’ouvrir à la présence.

Jean Yves Leloup « tout s’effondre sauf la vie » dans inexploré hors-série N° 3

 

 

Publié dans Jean-Yves Leloup

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