Ma vie de Carl Gustav Jung De la vie après la mort

Publié le par frigioman

Ma vie de Carl Gustav Jung  De la vie après la mort

Les besoins mythiques de l'homme occidental exigent l'image d'un monde en évolution, qui ait un commencement et un but. L'Occidental rejette l'image d'un monde qui ait un commencement et une simple fin, comme il repousse la représentation d'un cycle statique éternel, refermé sur lui-même. L'Oriental, au contraire, semble pouvoir tolérer cette idée. Il n'y a évidemment pas de consensus général sur ce qui est l'essence du monde et les astronomes non plus n'ont pas encore pu s'accorder sur cette question. À l'homme d'Occident l'absurdité d'un univers simplement statique est intolérable. Il faut qu'il lui présuppose un sens. L'homme de l'Orient n'a nul besoin d'une telle présupposition, puisqu'il l’incarne ce sens. Tandis que l'Occidental veut parachever le sens du monde, l'Oriental s'efforce d'accomplir ce sens en l'homme, se dépouillant lui-même du monde et de l'existence (le Bouddha).

Je donnerais raison à l'un, aussi bien qu'à l'autre. Car l'Occidental me semble surtout extraverti et l’Oriental surtout introverti. Le premier projette le sens, c'est-à-dire le suppose dans les objets; le second le sent en lui-même. Or le sens est aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.

On ne peut pas séparer de l'idée d'une réincarnation l'idée du -karma. La question décisive est de savoir si le karma d'un être humain est ou non personnel. Si la destinée préétablie avec laquelle un être humain entre dans la vie est le résultat des actions et des accomplissements des vies antérieures. Il existe une continuité personnelle. Dans l'autre cas un karma se trouve en quelque sorte saisi lors de la naissance, il s'incorpore à nouveau sans qu'il y ait une continuité personnelle.

Par deux fois ses disciples demandèrent au Bouddha si le karma de l'homme était personnel ou impersonnel.

Les deux fois il éluda la question sans vouloir s'y engager: connaître la réponse, dit-il, ne contribuerait pas à libérer l'homme de l'illusion de l'être. Le Bouddha considérait qu'il était plus utile pour ses disciples de méditer sur la chaîne des Nidânas, c'est-à-dire sur naissance, vie, vieillesse et mort, sur la cause et l'effet des événements douloureux.

Je ne sais que répondre à la question de savoir si le karma que je vis est le résultat de mes vies passées ou s'il n'est pas plutôt une acquisition de mes ancêtres, dont l'héritage s'est condensé en moi. Suis-je une combinaison de vies d'ancêtres et est-ce que je réincarne ces vies ? Ai-je vécu, déjà une fois, comme personnalité déterminée et ai-je progressé assez dans cette vie-là pour pouvoir maintenant esquisser une solution ? Je l'ignore. Le Bouddha n’a point répondu et je puis supposer que lui-même ne le savait pas avec certitude.

Je pourrais fort bien me représenter que j'aurais vécu dans des siècles antérieurs et m'y serais heurté à des questions auxquelles je ne pouvais pas encore répondre, qu'il fallait que je naisse à nouveau parce que je n'avais pas accompli la tâche à moi imposée. Quand je mourrai, mes actes me suivront, c'est du moins ce que j'imagine. J'emporterai ce que j'ai fait ; mais, en attendant, il s'agit que je n'arrive pas à la fin de ma vie les mains vides. Le Bouddha semblait avoir pensé ainsi quand il tentait d'éloigner ses disciples d'inutiles spéculations.

Le sens de mon existence est que la vie me pose une question. Ou inversement, je suis moi-même une question posée au monde et je dois fournir ma réponse, sinon j'en suis réduit à la réponse que me donnera le monde. Telle est la tâche vitale transpersonnelle, que je ne réalise qu'avec peine. Peut-être a-t-elle déjà préoccupé mes ancêtres sans qu'ils y aient trouvé de réponse.

Est-ce pour cette raison que je suis tellement impressionné par le fait que la fin du Faust n'apporte aucune solution ? Ou aussi par le problème de l'événement dionysien sur lequel Nietzsche a échoué et qui semble avoir échappé à l’homme chrétien ? Ou est-ce le Wotan-Hermès plein d’inquiétude de mes ancêtres alémaniques et franconiens qui me pose des énigmes provocantes ? Ou Richard Wilhelm avait-il raison quand il me disait en plaisantant que j'avais peut-être été dans une vie antérieure un Chinois rebelle qui devait —guise de punition — découvrir en Europe son orientale.

Ce que j'éprouve comme résultante des vies de mes ancêtres ou comme karma acquis dans une vie antérieure personnelle pourrait peut-être tout aussi bien être un archétype impersonnel qui tient aujourd'hui le monde entier en haleine et qui m'a particulièrement saisi, par exemple, le développement séculaire de la triade divine et sa confrontation avec, le principe féminin, ou la réponse, encore à trou à la question des gnostiques sur l'origine du mal, d'autres termes, l'imperfection de l'image chrétienne de Dieu.

Je pense aussi à une autre possibilité : par le truchement d'un acte individuel peut naître une question dans le monde et la réponse à trouver à celle va constituer une exigence nouvelle. Par exemple les questions que je soulève et les réponses que j'essaie de leur apporter peuvent ne pas être satisfaisantes. Dans ces conditions quelqu'un qui a mon karma — donc peut-être moi-même — devra alors renaître, pour apporter une réponse plus complète C'est pourquoi je pourrais imaginer que je ne renaîtrai pas tant que le monde n'éprouvera pas le besoin d'une nouvelle réponse et que je puis donc compter avec quelques siècles de repos, jusqu'à ce qu'on ait à nouveau besoin de quelqu'un qui s'intéresse à ce genre de choses; je pourrais alors me remettre à nouveau à la tâche avec profit. J'ai l'impression que l'on pourrait maintenant laisser s'instaurer une période de calme, jusqu'à ce que soit assimilée l'œuvre déjà accomplie.

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