Christiane Singer dans « Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies» (16) Impossible de protéger le jardin clos contre la sauvagerie du dehors
Il n'est pire cauchemar que le rêve de sécurité globale où la dictature technoïde se double de la naïve perversité de l'ours écrasant la tête de l'homme endormi pour écarter de lui les mouches. Car cette nature dont on veut délivrer l'homme n'est rien d'autre que sa propre nature. Mettre l'homme à l'abri des violences qui l'entourent et des violences qui l'habitent, le placer pour finir hors de portée de Dieu - sous la cloche fromages de la morale et de la catéchèse -rejoint le vieux rêve fondamentaliste des Églises et des institutions !
Mais la vie, la passion et la mort trouveront l’homme dans toutes les cachettes – au-delà des casemates les mieux bétonnées.
Impossible de protéger le jardin clos contre la sauvagerie du dehors. L’œuvre de longues années peut être en une nuit ravagée par une tempête, ou une harde de sangliers. Uhortus conclusus, aussi choyé soit-il, n'abolira jamais la sauvagerie du dehors. Et pourtant l'amour durable, l'engagement du mariage, reste cet acte de sublime candeur, cette tentative d'un héroïsme quotidien. Il est de l'ordre de l'impossible et du défi, c'est ce qui le rend si digne d'être défendu. Conclure, devant le jardin ravagé, qu'il est inutile de cultiver son jardin, qu'il est plus simple de ne pas même commencer de le cultiver, de le laisser dès le début à l'abandon, serait refuser de faire œuvre d'humanité.
Notre histoire collective et personnelle est cette alternance de luttes et d'accalmies, d'assoupissements et de réveils brusques, d'intrépides tentatives et de catastrophes dont la vie resurgit neuve.
L'araignée ne compte pas le nombre de fois où sa toile est détruite d'un coup de balai. Et recommence son tissage.
L'ordre familial, l'ordre de la durée est radicalement étranger à l'ordre sauvage de la passion. Le premier, bien arrimé dans le temps, fonde un projet de vie, dans la loyauté et la responsabilité. Le second constitue un état d'exception et ouvre à l'arraché sa fulgurante perspective d'éternité.
En général, celui ou celle qui vient de vivre une passion revient chez lui (elle) évidé (e) , dépouillé (e), nu (e).
Sa maison a disparu, sa famille s’est dispersée. Dans une indescriptible souffrance, l’époux (l’épouse) a vu une trahison là où lui n’a fait que traverser une tempête et ‘étonne encore d’être vivant (e). Si la chance veut qu’on l’ait attendu (e), qu’on ait pressenti la nature du cataclysme, il se peut alors que pour les deux rescapés, dans la gratitude et le respect mutuel, commence alors un amour à la fois fort et simplifié. Il se peut…